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droits de l'homme - Page 6

  • Tour d'horizon avec Marcel Gauchet...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec le philosophe et essayiste Marcel Gauchet, cueilli sur Ragemag et dans lequel il balaie les grands sujets de discussion qui animent (ou devrait le faire...) le paysage intellectuel...

     

    marcel gauchet

     

    Marcel Gauchet : « La recherche de la paix passe par la recherche d’une plus grande justice. »

    Philosophe et historien socialiste, rédacteur en chef et co-fondateur de la revue Le Débat, Marcel Gauchet nourrit le débat public depuis un bon nombre d’années. Vrai théoricien de la notion de « fracture sociale » qui a paradoxalement permis l’élection de Jacques Chirac en 1995 et qui continue d’alimenter encore les discussions aujourd’hui, s’intéressant à divers sujets comme la re-conceptualisation de la démocratie, la religion ou l’éducation, Gauchet est un anti-marxiste qui place la lutte des classes au centre de ses analyses ce qui fait de lui un intellectuel inclassable.

    Peut-on parler d’une nouvelle ligne de rupture entre mondialisme et anti-mondialisme qui viendrait s’ajouter au clivage politique entre la gauche et la droite ?

    Je ne crois pas que le clivage droite/gauche soit dépassé. Ce qui est vrai, c’est qu’il est relativisé. Il l’est d’abord par le pluralisme démocratique. La gauche ne rêve plus de faire disparaître la droite et la droite n’imagine plus un monde sans gauche. À partir du moment où on sait que l’adversaire sera toujours là, on cesse de donner un sens absolu à l’opposition. Et on s’aperçoit qu’il y a des contradictions fortes dans chacun des camps, qui étaient plus ou moins cachées par l’intensité de l’affrontement. Par exemple, il y a des gens hostiles à la mondialisation et des gens qui lui sont favorables à droite et la même chose à gauche, pour des motifs différents. C’est pourquoi je ne crois pas du tout que ce soit le nouveau clivage déterminant. Il traverse les deux camps.

    L’époque actuelle vit-elle une crise de la démocratie ou l’aboutissement de sa logique ?

    Les deux sont vrais en même temps. Nous avons affaire à un aboutissement de la démocratie, ou en tout cas à un approfondissement, qui a pour effet de mettre la démocratie en crise. Ce qui veut dire que nous ne sommes pas au bout de l’histoire. Aboutissement est à prendre avec prudence. C’est la raison pour laquelle je parle d’une crise de croissance. Cette crise est spécifiquement une crise d’impuissance : nos régimes n’arrivent plus à produire un pouvoir démocratique efficace, capable de peser sur le cours des choses.

    Dès lors, ne pourrait-on pas penser à une redéfinition de la démocratie ?

    La notion de démocratie est en train de se redéfinir. Il faut distinguer là-dessus entre la définition institutionnelle, celle des juristes, qui n’a pas de raison de varier beaucoup – l’État de droit, la garantie des libertés individuelles et publiques – et la compréhension théorique du déploiement historique de la société démocratique moderne. C’est une affaire autrement compliquée, qui change au fur et à mesure que ce parcours avance. Il a sacrément bougé depuis trente ans !

    Et la social-démocratie comme forme politique elle aussi, est-elle à enterrer ?

    Sans pinailler sur les mots, je ne crois pas qu’on puisse parler de « forme politique » à propos de la social-démocratie. C’est un projet politique à l’intérieur de la démocratie, comme le néolibéralisme en est un. Ce projet est en difficulté pour une bonne raison qui est qu’il s’est largement réalisé, en Europe. Il ne fait plus rêver : il est en grande partie ce que nous vivons. En revanche, on voit les défauts et les inconvénients qui n’avaient pas été anticipés. Et les rendements deviennent décroissants pour ce qui reste à mettre en place.

    Pour parler en idéaliste, est-ce le rôle des politiques que de dire le Juste ?

    Le but de la politique, c’est la paix, le fonctionnement de la collectivité sans violence entre ses membres, et si possible avec les membres des sociétés voisines. Comment avoir la paix collective dans l’injustice ? La recherche de la paix passe nécessairement par la recherche d’une plus grande justice. C’est de cela que nous débattons sans arrêt en démocratie, à un petit niveau ou à un grand niveau. « Travailler plus pour gagner plus », est-ce juste ? Est-il juste que les allocations familiales soient versées aux parents riches comme aux parents pauvres ? Quel est le système de retraite le plus juste ? Cela ne fait pas LE Juste en général, mais des foules de petites justices dont la politique est faite pour discuter et juger.

    Vous déclarez que nous sommes de plus en plus libres, à l’échelle individuelle, mais de moins en moins maîtres de notre destin collectif. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

    Ce paradoxe contient les éléments du problème démocratique évoqué plus tôt. Nous avons les bases, les libertés individuelles, nous avons l’idée, mais nous ne parvenons plus à en faire quelque chose, à produire à partir de là une intelligence collective de notre situation et une capacité d’action à la hauteur des défis qui sont devant nous. Il faut évidemment se demander s’il n’y a pas un rapport entre les deux et si la façon dont nous comprenons notre liberté à chacun (qui est un progrès incontestable) n’a pas un rapport avec cette impuissance de tous. Il existe à mon avis. C’est là-dessus que doit porter le travail pour la suite.

    On entend souvent dire que l’on vit à l’ère de l’individualisme, or certains comme le sociologue Michel Maffesoli parlent plutôt d’ère des tribus ou des communautés. Castoriadis quant à lui parlait d’ « onanisme consommationniste de masse ». Pensez-vous que nous vivons une époque où l’individu est roi ?

    Pas de vaines querelles de mots ! L’individualisme est ce qui explique les tribus et les communautés dont parle Maffesoli, qui n’ont pas grand-chose à voir avec ce qu’ont été les tribus et les communautés des sociétés anciennes (allez en Libye ou au Yémen si vous voulez voir des vraies tribus en état de marche : elles n’ont rien de nos tribus post-modernes). L’individualisme, ce n’est pas l’isolement, le chacun chez soi, c’est un mode de rapport de droit entre l’individuel et le collectif.

    En tant qu’individu, vous avez le droit de choisir votre communauté et d’en sortir quand vous voulez. Or la communauté c’était justement ce qu’on ne choisit pas, mais qui choisit pour vous ! Ce que dit Castoriadis n’est pas faux, mais n’est qu’une description du comportement éventuel de certains individus.

    Il y a en effet beaucoup de consommateurs onanistes, mais ça ne dit rien de l’individualisme en tant que phénomène fondamental. Il ne faut surtout pas parler d’un individu-roi, c’est une expression qui trompe. Il y a un individu qui a des droits, des droits qui sont premiers et incontestables. Cela change tout par rapport aux sociétés antérieures, où c’était le collectif qui avait la priorité et qui vous donnait votre place.

    Vous mettez en avant la « désintellectualisation de nos sociétés ». Pouvez-vous nous expliquer ce que cela signifie ?

    Depuis le début du XIXe siècle, la démocratisation de nos sociétés s’est accompagnée de la volonté de maîtriser intellectuellement leur devenir en associant le plus grand nombre à cette compréhension commune. C’est ce qui a porté l’effort scolaire, l’accès à l’information et la diffusion de la culture. Cet horizon s’est brouillé. L’expertise a supplanté la recherche de l’intelligibilité. L’important n’est plus de chercher à comprendre, mais de réparer les pannes et les dysfonctionnements.

    L’implicite est qu’il est vain de chercher à comprendre, voire qu’il n’y a rien à comprendre, la seule chose qui compte est que ça marche. On s’en remet aux techniciens. L’intérêt pour l’intelligence du monde humain-social est en chute libre. La dé-démocratisation de nos sociétés, leur oligarchisation vont de pair avec cette indifférence croissante pour la réflexion de fond sur l’homme et la société, que j’appelle « désintellectualisation ». Le niveau monte, comme disent les socio-démagogues, la place des savoirs s’accroît dans le mécanisme collectif, mais du même mouvement, la place des idées diminue. Nous allons vers une société qui ne cherche plus à se penser.

    La représentation vit aujourd’hui une crise. Peut-on dire alors que la représentation elle-même est à remettre en question, en tant que phénomène aristocratique ?

    En effet, il y a un élément aristocratique dans la représentation, encore qu’il faudrait s’entendre sur ce que veut dire exactement « aristocratie » ici. Mais il faut distinguer entre ce qu’elle est et ce à quoi elle sert. La représentation comme processus est ce qui nous permet de nous représenter notre communauté politique dans sa cohérence et la hiérarchie de ses problèmes.

    C’est cela qui compte dans la représentation : sa fonction, plus que sa nature. Prenez en regard une expérience de démocratie directe, une assemblée de copropriétaires, pour prendre l’exemple le plus banal : on voit tout de suite que la difficulté est de faire naître cette image globale et organisée. C’est le plus souvent une démocratie aveugle, faute de construire une représentation de la communauté concernée. La démocratie représentative n’est pas qu’une question de principe, autrement dit, mais une question de performance.

    Louis Dumont faisait remonter la notion d’individu telle qu’elle s’est développée sous la modernité (autocentré, égalitaire, non-holiste) au christianisme. Vous avez vous-même parlé du christianisme comme étant la religion de la sortie de la religion. Pourrait-on dire, en paraphrasant Chesterton, que le problème d’aujourd’hui est que nous vivons une époque dominée par des « idées chrétiennes devenues folles » ?

    Je crois que la formule de Chesterton ne s’applique plus à notre époque. Les idées chrétiennes ne sont plus vraiment là, mais la modernité est en train de montrer qu’elle est capable de produire des idées à elle tout aussi susceptibles de devenir folles, de la maîtrise illimitée de la nature à la toute-puissance du désir individuel.

    Quel est, d’après vous, le rôle des Droits de l’Homme dans le débat politique actuel ?

    La dépolitisation du débat est le rôle qu’ils tendent à jouer le plus souvent : ils sont consensuels, leur violation provoque des réactions fortement émotionnelles. Du coup, ils ne laissent pas beaucoup de place à la discussion des moyens qui est le vrai débat politique. Mais leur fonction ne se limite pas à cela : ils ont aussi un rôle de définition d’une vision alternative à la politique. Il faudrait plutôt parler de surpolitisation à propos de cette volonté de faire une politique avec les droits de l’homme.

    Le populisme, au sens caricatural ou conceptuel que vous mettrez derrière ce terme, est-il un danger ou une nécessité pour la démocratie ?

    De nouveau, le raisonnement en noir et blanc est mauvais conseiller. Le populisme est l’un et l’autre, un danger et une nécessité pour la démocratie. Qu’est-ce qu’une démocratie qui ne fait pas sa place au peuple, à la représentation de toutes ses composantes et de tous ses problèmes ? En même temps, l’invocation du peuple sous un certain angle, comme s’il composait un bloc sans contradictions, comme s’il était infaillible, comme s’il était le siège de toute vertu est profondément destructeur de ce que doit être le pluralisme démocratique. Nous sommes condamnés à naviguer sans cesse entre les deux écueils. Le progrès de la démocratie est dans la conscience partagée de cette situation, qui devrait lui donner les moyens de se corriger en permanence.

    Marcel Gauchet, propos recueillis par Kévin Boucaud Victoire (Ragemag, 8 juillet 2013)

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  • Les droits de l'homme, nouveau colonialisme ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Nicolas Gauthier et publié sur Boulevard Voltaire. Alain de Benoist y évoque les droits de l'homme et la question de l'identité...

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    Les droits de l'homme, nouveau colonialisme ?

    L’Europe a rompu avec sa tradition colonisatrice pour ensuite verser dans un tiers-mondisme lacrymal. Aujourd’hui, à l’heure de la « repentance », on a l’impression que les néo-évangélistes des droits de l’homme ont remplacé les Pères blancs de jadis. Éternel retour ?

    Au XIXe siècle, la colonisation fut le fait de ceux qu’on a appelés les « trois M » : les militaires, les missionnaires et les marchands. Les marchands se sont souvent enrichis, ce qui n’a pas été le cas de l’État (la colonisation a toujours coûté plus cher à la métropole qu’elle ne lui a rapporté). Les missionnaires n’ont pas trop mal réussi, puisque les deux tiers des catholiques de la planète sont aujourd’hui des habitants du tiers monde. Les militaires livrent désormais des guerres d’agression rebaptisées « interventions humanitaires » ou « opérations de police internationale ». Quant à la repentance, elle devrait en toute logique être surtout pratiquée dans les milieux de gauche puisque, à l’époque de Jules Ferry, le colonialisme était clairement une idéologie de la gauche laïque : au nom de l’universalisme du progrès, il s’agissait d’aider les « races inférieures » à combler leur « retard » en les faisant accéder aux « révélations des Lumières ».

    Mais chacun sait bien que la colonisation peut revêtir des formes très diverses : politique, économique, technologique, culturelle, idéologique, etc. De ce point de vue, il n’y a aujourd’hui plus guère de pays qui puissent se dire indépendants. La colonisation, enfin, est un terme qui se rapporte en toute rigueur au peuplement, et non à la conquête. La France n’y a procédé qu’en deux occasions : en Algérie (avec conquête) et au Québec (sans conquête). Savez-vous qu’à l’apogée de l’Empire français, l’Algérie mise à part, il n’y a jamais eu plus de 500.000 Français vivant dans les colonies ? Aujourd’hui, les populations originaires de notre ancien empire colonial comptent en France plus de six millions de personnes, naturalisés compris, soit douze fois plus. Ce contraste numérique remet certaines choses en place.

    Dans votre livre « Au-delà des droits de l’homme », vous assurez qu’il ne s’agit que d’un néocolonialisme n’osant pas dire son nom. D’où, chez nous, cet amour de « l’Autre », porté aux nues dès lors qu’il cherche à nous ressembler, mais détestable lorsque persistant à revendiquer son propre modèle…

    Depuis qu’il s’est converti à l’universalisme, l’Occident a toujours regardé ses valeurs spécifiques comme des valeurs « universelles », qu’il se trouvait dès lors légitimé à imposer au monde entier. Dans le tiers monde, on a d’abord voulu faire adorer le « vrai Dieu » (unique, bien sûr), après quoi on a prétendu apporter la « civilisation », le « progrès », la « démocratie » et le « développement ». L’idéologie des droits de l’homme n’échappe pas à la règle. Alors qu’elle est historiquement et géographiquement parfaitement située, elle prétend chapitrer la planète au nom d’un homme abstrait, d’un homme de partout et de nulle part. Les États-Unis en sont tout naturellement les premiers champions puisque, pour eux, les Africains ne sont que des Occidentaux à la peau noire, et les Européens des populations américanisables parlant (provisoirement) une langue étrangère. C’est ce qui explique leurs déboires en politique internationale. Le monde ne sera compréhensible pour eux que lorsqu’il aura été totalement américanisé.

    C’est en raison de leur universalisme que les Occidentaux ont autant de mal à comprendre (et à admettre) l’altérité. Leur conviction profonde consiste à penser ou à croire que les différences entre les cultures et les peuples sont transitoires, secondaires, solubles dans le folklore ou franchement nuisibles. En d’autres termes, ils n’admettent « l’Autre » que dans la mesure où ils croient pouvoir démontrer que « l’Autre » est « comme tous les autres », c’est-à-dire qu’il est en fait le « Même ». Un certain égalitarisme, qui fait de l’égalité le synonyme de la « mêmeté », pousse dans ce sens. C’est une autre forme de racisme : faute de faire disparaître les différents, on dévalue les différences (entre les peuples comme entre les sexes) en les tenant pour illusoires ou négligeables. L’universalisme politique, la revendication d’un « droit à l’indifférence » et l’idéologie du genre confluent dans cette même aspiration à l’indifférenciation, qui n’est au fond qu’un désir de mort.

    Syndrome du shah d’Iran ou de Kemal Atatürk : obliger ses compatriotes à adopter une culture étrangère… Dans le même temps, nombre de Français sont quotidiennement confrontés à une présence de plus en plus massives d’immigrés de confession musulmane et de culture maghrébine. Comment conserver sa culture ?

    Je n’ignore bien sûr aucune des pathologies sociales nées de l’immigration. Mais je ne suis pas de ceux qui jettent de l’huile sur le feu ou prennent plaisir à souffler sur les braises en rêvant d’une guerre civile, pas plus que je ne suis de ceux qui, sans peur du paradoxe, reprochent aux immigrés de ne pas s’assimiler tout en déclarant hautement qu’ils sont inassimilables. Ce n’est certainement pas de la faute des immigrés si les Français « de souche » ne savent plus en quoi consiste leur identité et comment ils pourraient la transmettre. Pour le dire autrement, ce n’est pas tant dans l’identité des autres que je vois une menace pour la nôtre que dans le système à tuer les peuples qui les menace toutes. Notre identité serait tout aussi menacée s’il n’y avait pas d’immigration, parce que l’idéologie dominante de l’ère postmoderne, le capitalisme en tant que « fait social total » (Marcel Mauss) est intrinsèquement destructrice de toutes les identités collectives.

    Ce qui demeure, c’est un conflit de valeurs. Quand une musulmane déclare que le port du foulard islamique est une façon pour elle de préserver sa dignité de femme, alors que pour beaucoup d’Occidentaux ce même foulard est une atteinte à la dignité de la femme, il est clair que l’on est dans un dialogue de sourds. « L’Autre », c’est celui qui a des valeurs autres. Toute valeur ne vaut que par rapport à ce qui ne vaut pas. La différence entre les valeurs et les intérêts, c’est que les premières ne sont pas négociables.


    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 6 juillet 2013)

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  • De l'amélioration de l'homme par le bombardement de terreur...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Tomislav Sunic, cueilli sur le site de Polémia et consacré à la valeur symbolique de la destruction de la ville de Dresde en février 1945. Professeur de sciences politiques, Tomislav Sunic est l'auteur de plusieurs essais, dont deux ont été traduits en français, La Croatie, un pays par défaut ? (Avatar, 2010) et Homo americanus (Akribéia, 2010). 

     

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    Du 13 au 15 février 1945, les forteresses volantes de la Royal Air Force et de l’U.S. Air Force déversaient sur la ville de Dresde, merveille de l’Elbe, des centaines de milliers de bombes au phosphore, détruisant une grande partie de la ville et tuant un nombre jamais encore défini d’habitants et réfugiés. Chaque année depuis la réunification de l’Allemagne, bravant les interdictions officielles et le refus de la majorité des Allemands d’y participer, de timides commémorations en mémoire des victimes se déroulent dans la ville qui a admirablement reconstruit ses trésors architecturaux. A l’occasion de ce soixante-huitième anniversaire, Tomislav Sunic, de nationalité croate, diplomate, traducteur, professeur de science politique et historien, auteur de nombreux ouvrages et articles dont certains ont été présentés par Polémia, exprime, dans une tribune libre, ses réactions sur le sort inégal réservé aux victimes innocentes de la dernière guerre. Fort de son expérience yougoslave, il fait de la ville martyre un symbole et annonce avant l’heure un cycle européen qui sera fait de violence et de guerres civiles.  Polémia

     

    De l'amélioration de l'homme par le bombardement de terreur

    Dresde n’est pas le seul symbole des crimes alliés – symbole qui est d’ailleurs mentionné à contrecœur par les politiciens du Système. La destruction de Dresde et le nombre des victimes sont toujours relativisés dans l’historiographie du Système, étant souvent dépeints comme « un dommage collatéral dans la lutte contre le mal absolu, à savoir le fascisme ». Or le problème réside dans le fait qu’il n’y a pas eu un seul dommage collatéral dans une seule ville nommée Dresde, mais aussi des dommages collatéraux dans d’autres Dresde, dans tous les coins de l’Allemagne, et dans toutes les parties de l’Europe. La topographie de la mort, tracée par les anciens antifascistes, reste une donnée fort problématique pour leurs descendants d’aujourd’hui.

    L'inégalité des victimes

    Dans « la concurrence mondiale pour la mémoire historique », toutes les victimes ne bénéficient pas des mêmes droits. Maintes victimologies l’emportent sur les autres tandis que beaucoup d’autres sont censées tomber dans l’oubli total. Les politiciens du Système sont très zélés quand il s’agit d’ériger des monuments aux peuples et aux tribus, en particulier à ceux qui furent victimes des Européens. Un nombre croissant de dates anniversaires et de jours de réparations apparaissent sur nos calendriers muraux. De plus en plus, les dirigeants du Système européen et américain rendent hommage aux victimes non européennes. Rarement, presque jamais, ils se souviennent des victimes de leurs propres peuples qui ont souffert sous la terreur communiste et libérale. Comme mauvais auteurs de crimes figurent toujours les Européens, et surtout les Allemands, qui sont donc toujours contraints aux rites de repentance.

    Non seulement Dresde est une ville allemande, ou bien le symbole d’un destin allemand, mais elle est aussi le symbole européen d’innombrables villes croates, hongroises, italiennes, belges et françaises qui furent bombardées par les Alliés. Ce qui m’attache à Dresde m’attache également à Lisieux, un lieu de pèlerinage en France qui fut bombardé par les Alliés en juin 1944, comme un autre lieu de pèlerinage, italien celui-là, Monte Cassino, qui fut également bombardé par les Alliés en février 1944. A Lisieux, cette petite ville dédiée à sainte Thérèse, le 10 juin 1944, 1200 personnes furent tuées, le monastère bénédictin fut complètement détruit et 20 religieuses perdirent la vie. Pour dresser la liste des villes européennes de haute culture qui ont été détruites, il nous faudrait une bibliothèque – à condition toutefois que cette bibliothèque ne soit pas une nouvelle fois bombardée par les « world improvers » (*); et à condition que les livres et les documents qu’elle contient ne soient pas confisqués ni interdits de circulation.

    En France, pendant la Seconde Guerre mondiale, environ 70.000 civils trouvèrent la mort sous les bombes anglo-américaines et démocratiques, chiffe qui est mentionné avec réticence par les historiens du Système. 600.000 tonnes de bombes furent larguées sur la France de 1941 à 1944, 100.000 bâtiments et des maisons furent détruits. Dans le Système actuel, les politiciens utilisent souvent les mots « culture » et « multiculture » ; or, force est de constater que leurs prédécesseurs militaires se sont distingués dans la destruction des divers monuments culturels européens.

    Annéantissement culturel

    Ces églises et ces musées européens devaient être détruits car ces endroits, y compris Dresde, n’entraient pas dans la catégorie de la culture. Plus au sud, à Vienne, en mars 1945, le Burgtheater fut bombardé par les avions américains. Plus à l’ouest, au nord de l’Italie, l’opéra de « La Scala » de Milan fut bombardé, ainsi que des centaines de bibliothèques à travers toute l’Europe centrale. Plus au sud, en Croatie, des villes de grande culture, telles que Zadar et Split, furent bombardées en 1944 par les « world improvers », et ce panorama d’horreur n’a pas de fin. Des politiciens allemands et des touristes allemands prennent souvent des vacances sur la côte croate, alors que le long de la côte il y a de nombreux charniers de cadavres de soldats allemands. Sur l’île croate de Rab, où les nudistes allemands aiment bien s’amuser, il y a une énorme fosse commune contenant les ossements de centaines d’Allemands assassinés par les communistes yougoslaves. Les diplomates allemands en Croatie n’ont rien fait pour ériger des monuments à ces soldats martyrisés. Récemment, la soi-disant communauté de valeurs démocratique s’est montrée très préoccupée du nettoyage ethnique en ex-Yougoslavie et s’est donné beaucoup de mal pour traduire les accusés serbes et yougoslaves devant le Tribunal de La Haye. Mais ces accusés yougoslaves avaient eu des modèles parfaits parmi leurs ancêtres yougo-communistes et leurs alliés anglo-américains. Vers la fin de 1944, et au début de 1945, il y eut, en Yougoslavie, un énorme nettoyage ethnique des Allemands de souche par les communistes yougoslaves. En mai 1945, des centaines de milliers de réfugiés croates, pour la plupart des civils, se sont rendus aux autorités anglo-américaines au sud de la Carinthie, à côté de Klagenfurt en Autriche méridionale. Dans les jours qui suivirent, ils furent tous livrés aux bouchers yougo-communistes.

    On tue et on expulse

    En ce qui concerne les millions d’Allemands de souche chassés de Silésie, de Poméranie, des Sudètes et du bassin du Danube vers la fin de la guerre (**), je pourrais parler pendant des heures. Vu que ces victimes sont dues aux bourreaux communistes, je ne vais pas pour le moment les attribuer aux « world improvers » occidentaux. Rétrospectivement, nous voyons toutefois que les réformateurs occidentaux n’auraient jamais pu réaliser leurs projets de rénovation du monde sans l’aide des bourreaux communistes, y compris les soi-disant antifascistes. Certes, la plus grande migration de l’histoire du peuple allemand et des autres peuples non allemands en Europe centrale et en Europe de l’Est fut suscitée par les communistes et l’Armée rouge, mais jamais ces gigantesques crimes communistes n’auraient pu avoir lieu sans l’aide aérienne massive des « world improvers ». Donc, on utilise deux poids et deux mesures quand on commémore les morts de la Seconde Guerre mondiale.

    Les droits de l'homme à la carte

    Comme le grand spécialiste de droit international, l’Allemand Carl Schmitt, nous l’a enseigné, nous faisons face ici à un problème dangereux quant au droit international moderne et quant à l’idéologie des droits de l’homme. Une fois l’adversaire militaire déclaré « monstre » ou « vermine », les droits de l’homme ne s’appliquent plus à lui. Les monstres et les vermines ne sont protégés par aucune loi. C’est la composante principale du Système actuel. De même, dès qu’un intellectuel européen, un universitaire ou un journaliste non conformiste commence à contester les mythes du Système actuel, il court le risque d’être traité comme un « homme d’extrême droite », c’est-à-dire comme « un monstre fasciste ». Par conséquent, ce monstre d’extrême droite ou ce fasciste et cette espèce inhumaine ne peut jamais devenir un homme ; par conséquent, aucune idéologie des droits de l’homme ne peut lui venir au secours. Il devient sujet à l’ostracisme social et à la mort professionnelle. Le Système se targue de sa tolérance envers toutes les personnes du monde et envers toutes les nations du monde, mais non envers ceux qui sont a priori étiquetés comme inhumains, à savoir les pseudo-extrémistes de droite. Aux yeux des « world improvers », les civils allemands de Dresde, ici sur cette place, en février 1945, n’étaient pas perçus comme des êtres humains mais comme un genre spécial de vermine qu’on devait supprimer. On trouve des sentiments similaires aujourd’hui chez les « world improvers » dans leurs opérations militaires en Irak ou en Afghanistan.

    On nous accuse parfois d’exagérer le chiffre des victimes de Dresde dans le seul but de banaliser les crimes fascistes. Cela n’a pas de sens. Cette proposition mensongère peut facilement être inversée. Les médias du Système et ses faiseurs d’opinion ont besoin, même 70 ans après la guerre, du danger fasciste, dans le seul but de mieux cacher leurs propres désastres économiques et leurs propres crimes de guerre d’antan.

    Fragilité du Système multiculturel

    Par ailleurs, les historiens du Système ainsi que les faiseurs d’opinion ignorent que le Système multiculturel actuel est par force conflictuel : chaque doctrine victimaire persiste dans sa propre unicité et ne se propage qu’aux dépens des autres. Cela montre la fragilité du Système multiculturel. En fin de compte, cela conduit à la balkanisation, à la guerre civile et à l’effondrement du Système. Voici un exemple : l’atmosphère victimaire d’aujourd’hui, dans le Système multiculturel, conduit chaque tribu, chaque communauté, chaque immigré non européen à croire que sa doctrine victimaire doit être unique. Il s’agit là d’un phénomène dangereux, car chaque unicité victimaire exclut les autres victimes qui se trouvent en concurrence avec elle. Une telle mentalité victimaire ne contribue ni à la prévention des conflits ni à la paix. Elle conduit à la violence multiethnique et rend le conflit inévitable.

    Suite à la banalisation et la relativisation des crimes libéralo-communistes contre le peuple allemand, avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale, il n’y a pas eu de climat de compréhension mutuelle ni de réconciliation. Au lieu de cela, un climat de fausses mythologies et de victimologies conflictuelles est né, où chaque homme, et chaque tribu, se perçoit comme la victime de son voisin.

    L’exemple classique est à nouveau l’effondrement de l’ancien Etat artificiel de Yougoslavie où les différents peuples furent pendant cinquante ans victimes des historiens communistes et où la propagande communiste dépeignait le peuple croate comme une « nation nazie ». En 1991, après la chute du communisme et après la fin de la propagande communiste, le résultat ne fut pas la compréhension mutuelle entre les divers peuples yougoslaves mais la haine mutuelle et la guerre terrible où toutes les parties s’insultèrent en se traitant de « fascistes ». Ce qui nous attend bientôt dans l’UE n’est pas le plaisir exotique d’une société multiculturelle, mais un nouveau cycle similaire et balkanique de violence et de guerres civiles.

    Ne nous faisons pas d’illusions. Dresde est, certes, un endroit symbolique contre toutes les guerres, et également l’endroit où nous devons nous incliner devant les victimes innocentes. Mais demain, Dresde peut facilement devenir le symbole de catastrophes titanesques. On peut déjà imaginer ce qui nous attend dans les prochaines années. Certains parmi nous qui possèdent une longue conscience historique savent fort bien qu’un monde a pris fin. L’âge libéral est mort depuis longtemps. Les temps qui viennent seront mauvais. Mais ces mauvais temps nous offrent, à nous tous, une chance.

    Tomislav Sunic (Polémia, 13 février 2013)

    Notes :

    (*) Ceux qui « améliorent » le monde, les réformateurs.

    (**) « Les Expulsés »

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  • La fin du village ?...

    Les éditions Gallimard viennent de publier La fin du village, une étude de Jean-Pierre Le Goff qui analyse au travers de l'observation d'un village provençal le délitement de la vie sociale dans notre pays. Philosophe et sociologue, Jean-Pierre Le Goff a récemment publié La gauche à l'épreuve : 1968 - 2011 (Tempus, 2011) et La France morcelée (Folio, 2008). Il anime par ailleurs le club de réflexion Politique autrement.

     

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    "À travers la description et l’analyse de la vie quotidienne d’une ancienne collectivité villageoise provençale, ce livre s’attache à décrire la mentalité et le style de vie de ses habitants en soulignant les mutations et les bouleversements que cette collectivité a subis depuis la dernière guerre jusqu’aux années 2000. L’urbanisation et la modernisation ne signifient pas seulement la fin d’un monde clos et de son « chauvinisme de clocher » ; elles se paient d’une dissolution du lien collectif, entraînant l’individualisme vers une « postmodernité » problématique.
    De la « communauté villageoise » et du « peuple ancien » au « nouveau monde », les différentes parties du livre sont ordonnées autour de cette mutation : le développement de la consommation, du loisir et du tourisme ont érodé les anciennes traditions provençales ; les « néo ruraux » formés de couches moyennes urbaines et de catégories fortunées se sont substitués aux anciennes couches populaires touchées par le chômage et la fin de leur « petite patrie » qu’était la collectivité villageoise. La fracture est à la fois sociale et culturelle et met en jeu des conceptions et des rapports différents à la vie individuelle et collective. À rebours d’une vision idéalisée de la Provence, La fin du village montre une autre réalité où les populations locales ont le sentiment d’être « envahies » dans la période estivale – la Provence étant devenue, selon une expression largement usitée dans la région, le « bronze-cul de l’Europe ». Tandis qu’affluent touristes et nouveaux habitants fortunés en mal de soleil et de ciel bleu, les Provençaux se vivent comme les derniers témoins d’un patrimoine qui ne leur appartient plus, ou pire encore, les gardiens d’un décor de théâtre ou une « espèce en voie de disparition ».
    Aux anciens rapports villageois a succédé un individualisme désaffilié dont le rapport à la collectivité est devenu problématique. Sans nostalgie pour un supposé « bon vieux temps », l’auteur passe au crible de l’analyse critique les dérives du « nouveau monde ». Sur fond de chômage et de « village dortoir », il souligne l’importance prise par les fêtes en tout genre, l’« animation sociale et culturelle » et ce qu’il nomme d’un sobriquet les « cultureux » dont l’« ouverture » et les « pratiques artistiques » constituent un curieux mélange de pédanterie et de militantisme revisité ; il rend compte de formes nouvelles d’éducation et d’animation de la jeunesse qui tentent de façonner des individualités nouvelles avec un angélisme des droits de l’homme et une écologie qui verse dans le moralisme et les bons sentiments ; il s’interroge sur la façon dont la collectivité envisage aujourd’hui son rapport à la nature, à la vieillesse et la mort. Ces conceptions et ces comportements coexistent avec des formes nouvelles de misère et de désaffiliation (la « déglingue ») liées à la combinaison du chômage et à la déstructuration familiale.
    Le « village bariolé » qui succède à l’ancienne collectivité villageoise fait coexister des catégories sociales et des mondes séparés à l’intérieur d’un même espace géographique vide de projet commun. En ce sens, la « fin du village » constitue une sorte de « groupe témoin » d’une France morcelée et d’une évolution problématique des sociétés démocratiques, que les responsables politiques et les citoyens se doivent d’affronter au plus près des réalités."

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  • Vae victis !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy, cueilli sur Polémia et consacré aux raisons de la défaite de Nicolas Sarkozy... 

     

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    Vae victis : la défaite méritée de la droite la plus bête du monde

    La défaite de Nicolas Sarkozy aux élections présidentielles de 2012 n’est pas seulement celle d’un homme qui a très rapidement dilapidé son capital politique. Car en cinq ans le président sortant a réussi non seulement à faire gagner la gauche mais aussi à remettre en selle l’extrême gauche et le parti communiste, en catalysant le rejet autant de sa personne que de sa politique, tout en décourageant ses soutiens.

    Et la crise n’explique pas tout, car cet échec est aussi celui de toute la droite française, qui est vraiment « la plus bête du monde », selon la fameuse expression attribuée au socialiste Guy Mollet !

    La droite en France est, certes, en dormition depuis les épurations et diabolisations successives dont elle n’a cessé d’être frappée. Mais cela ne saurait tout excuser. La triste vérité est que la droite en France est bête et qu’elle ne cesse de commettre des bêtises. Retour sur cinq d’entre elles :

    La première bêtise, la plus ancienne, est d’avoir délaissé la lutte des idées

    Jusque dans la première moitié du XXe siècle, la droite en France rassemblait de brillants intellectuels et des artistes. La IVe République, qui a vu la mainmise de la gauche sur la culture, l’enseignement, l’édition et la presse, suite à l’Epuration, y a mis un terme.

    Mais cela a malheureusement continué sous la Ve République : la droite a perdu en 1968, puis en 1986 avec la cohabitation, le combat culturel face à la gauche.

    Cette droite n’a tenu compte, en outre, d’aucun des avertissements qui lui ont été adressés par certains intellectuels amis (de Michel Droit à Louis Pauwels) et par certains clubs de réflexion, en particulier après la victoire de la gauche en 1981 : elle n’a pas voulu comprendre que ce sont les idées qui mènent le monde, le monde politique en particulier.

    La droite au front de taureau a continué de ne réfléchir à rien, de ne rien lire et de n’avoir des idées sur rien.

    La droite n’a donc pas vu venir les nouveaux clivages culturels et politiques qui émergeaient en Europe et en France : le clivage identité/cosmopolitisme ; le clivage islam/chrétienté ; le clivage oligarchie/peuple ; le clivage souveraineté /mondialisme ; le clivage protection/libre-échangisme. Sur tous ces sujets, qui sont autant de « grandes querelles », comme disait De Gaulle, la droite de gouvernement n’a rien eu à nous dire en 2012. Elle n’a donc nullement profité de ces nouvelles lignes de fracture politiques.

    La droite a longtemps cru que sa « bonne gestion de l’économie » constituerait son meilleur argument électoral face à une gauche « idéologique ». Car autrefois la droite rimait avec économie – au sens vertueux du mot –, avec confiance dans la monnaie ainsi qu’avec rigueur budgétaire et financière. Mais la droite a perdu aussi sur ce terrain-là !

    Avec Chirac puis Sarkozy, la droite est devenue au moins aussi laxiste, sinon plus, que la gauche : les déficits et l’endettement publics se sont envolés. La France a perdu son triple A. Les transferts sociaux au profit de différentes clientèles et les réglementations bureaucratiques se sont, comme les radars, multipliés. Les impôts et prélèvements « sociaux » n’ont cessé de progresser, et cela avait déjà commencé sous Giscard d’Estaing.

    Pas étonnant que les jeunes et les actifs se détournent de cette droite qui regarde, dans le rétroviseur, passer les trains de l’histoire !

    La seconde bêtise a consisté à adopter l’idéologie de la gauche

    Les « stratèges » de la droite ont cru habile, au surplus, pour contrer les communistes et les socialistes, de se placer sur le même terrain qu’eux.

    Les mots d’ordre des hommes politiques de droite, véritables éponges idéologiques à la fin du XXe siècle, proviennent d’ailleurs quasiment tous de la gauche : la « nouvelle société » (car la société est bloquée par le conservatisme, bien sûr ! selon Chaban-Delmas), « la société libérale avancée » (c'est-à-dire une sorte de social-démocratie : Giscard d’Estaing), « le travaillisme à la française » (Chirac), le « changement » et « vivement demain » (en 1986), la « rupture » (Sarkozy après… Mitterrand en 1981). Le dernier chic à droite était d’ailleurs de se réclamer d’hommes de gauche : de Jaurès à Georges Mandel.

    La droite s’est donc réclamée des droits de l’homme, de la République et surtout du libre-échangisme mondialiste. Mais c’était un cocktail à la fois ringard et dangereux ! Comme ces vieilles munitions que l’on déterre encore et qui vous explosent à la figure quand on commence à les manipuler…

    Ainsi les droits de l’homme – instrumentés contre les communistes dans les années 70 – sont devenus en retour une arme aux mains des immigrationnistes et des mondialistes contre les droits des citoyens et contre la souveraineté des Etats. Chirac a fini par faire la guerre à la Serbie au nom des droits des mahométans du Kossovo. Et Sarkozy a promu « l’obligation de protéger » les Libyens, un remake de « l’urgence humanitaire » inventée par le socialiste Bernard Kouchner… et qui fut aussi son ministre d’ouverture.

    Devenue anglophile, la droite s’est ensuite emparée avec délices du prêt à penser libéral, qui fut rapidement véhiculé par les intellectuels organiques de service et les représentants du patronat : trop d’impôts tue l’impôt, libérons les créateurs de richesses, dérégulons, privatisons, à bas l’Etat, vive l’Etat de droit !

    Il s’agissait néanmoins d’un hara-kiri idéologique.

    Car les droits de l’homme et la doctrine libre-échangiste se rattachent comme la gauche à l’idéologie des Lumières. Toutes ces idéologies prônent la déconstruction des traditions, des protections nationales et des frontières économiques et, finalement, de toutes les spécificités – c'est-à-dire des identités – comme autant d’obstacles au « doux commerce » entre des individus égaux et « rationnels » car libérés de toute appartenance.

    On ne peut donc pas à la fois se déclarer en faveur de la famille, des traditions culturelles, de l’identité, de la citoyenneté ou de la nation et prôner le libre–échangisme et les droits de l’hominien : il y a dissonance cognitive entre les deux positionnements !

    Le fait que la gauche – qui prétend de son côté que l’on peut préserver notre « modèle social », version 1946 modifiée 1981, dans une économie globalisée – porte comme un boulet sa propre dissonance cognitive ne change rien à l’erreur stratégique de la droite.

    Le résultat est là : en 30 ans la droite est devenue une gauche qui ne dit pas son nom. Elle s’est progressivement ralliée à l’égalitarisme, à la « lutte contre les inégalités » et donc à l’ingénierie sociale, puis à « l’antiracisme », à l’écologisme, au féminisme et finalement au cosmopolitisme.

    La troisième bêtise a consisté à tromper en permanence son électorat

    La gauche a échoué à sortir du système capitaliste. Mais elle a, par contre, réussi à transformer la société conformément à son idéologie et elle a mis en œuvre une bonne partie de son programme électoral.

    La droite, elle, n’a cessé de tromper ses électeurs. Elle scénarise à chaque élection un duel à mort avec la gauche. Mais c’est ensuite pour cohabiter avec elle, pour faire entrer au gouvernement des ministres issus de la gauche au titre de « l’ouverture » ou pour en rajouter sur le politiquement correct.

    Elle met en scène un discours « souverainiste » (de Pasqua à De Villiers, sans oublier l’appel de Cochin de Chirac) ou « sécuritaire » (en général ce rôle incombe au ministre de l’Intérieur en place) pour aller à la pêche aux voix : mais ensuite ces joueurs de flûte rentrent piteusement dans le rang et font le contraire de ce qu’ils ont promis.

    « Les réformes les plus contestables qui ont bouleversé notre société, et dont l’effet cataclysmique se fait sentir aujourd’hui, ont d’ailleurs été prises par des gouvernements et des présidents de droite et non de gauche : la déstructuration de l’enseignement scolaire et universitaire, la loi Pleven qui ouvre la voie au chantage « antiraciste », le regroupement familial des immigrés, la légalisation de l’avortement, l’imposition du Traité de Lisbonne, l’annonce des « repentances » successives, la perte de la souveraineté monétaire, la réintégration de l’OTAN, la mise en place des quotas féministes, la création de la HALDE, la « discrimination positive », etc.

    « C’est aussi la droite et non la gauche qui a bouleversé l’esprit et les institutions de la Ve République. Avec la cohabitation de 1986, la droite a accepté de dissocier la majorité présidentielle et la majorité parlementaire, créant la confusion politique et l’immobilisme. Elle a ensuite réduit la durée du mandat présidentiel, diminuant du même coup sa dimension souveraine. Nicolas Sarkozy a achevé l’évolution en fusionnant de fait les fonctions de premier ministre et de président de la République, rabaissant le niveau de la fonction.

    « C’est aussi la droite qui a bouleversé, au nom de l’idéologie néolibérale de « l’Etat de droit », le système de contrôle de la constitutionnalité des lois : elle a transformé le Conseil constitutionnel en gardien idéologique, c'est-à-dire qu’elle a organisé la primauté des juges inamovibles sur les législateurs élus.

    « La gauche a certes supprimé la peine de mort, voté les lois Auroux sur le pouvoir syndical dans l’entreprise, instauré les 35 heures et voté la loi Fabius-Gayssot, des réformes également cataclysmiques. Mais cela ne saurait cacher que globalement c’est la droite de gouvernement qui a à son passif le plus de réformes calamiteuses pour notre pays. »

    La quatrième bêtise de la droite a été son incapacité à s’unir

    L’histoire de la droite en France depuis les années 1870 est l’histoire de ses déchirements et de ses luttes fratricides, alors que les querelles de la gauche sont toujours restées, selon la formule célèbre de Léon Blum, des querelles de famille.

    A la différence de la gauche, la droite ne sait pas jouer collectif et sacrifie en permanence l’essentiel au nom de l’accessoire. C’est pourquoi elle ne parvient pas à s’imposer dans la durée.

    Dernière illustration de ce travers historique : la droite au front de taureau a coupé les ponts avec le Front national tout en prétendant récupérer ses électeurs. Elle a donc fait le contraire de la stratégie victorieuse d’union de la gauche. Bravo les parangons du « vote utile » !

    Cette préférence pour la désunion a eu pour seul résultat que la droite, bien que majoritaire dans le pays, s’est retrouvée prise en otage politique par une gauche minoritaire. Une performance remarquable !

    Afin de se dédouaner, en effet, de l’accusation, constamment proférée par la gauche et les officines qui lui sont dévouées, de « pactiser » avec le diable « d’extrême droite », la droite a été contrainte de donner des gages de plus en plus élevés. Elle s’est déclarée de plus en plus « républicaine », c’est-à-dire toujours plus politiquement correcte.

    Elle a dû aussi sacrifier impitoyablement tous ceux qui, dans ses rangs, prétendaient à l’union de la droite : ils ont été abandonnés, ostracisés, souvent ruinés et, comme par hasard, parfois aussi, objet de poursuites judiciaires.

    Cette diabolisation permanente a aussi fait peser une chape de plomb politiquement correcte sur le pays.

    Parler de l’immigration ou de l’islam autrement qu’en termes laudateurs, ou de l’insécurité, c’était bien sûr « faire le jeu » du Front national ou « lepéniser » son esprit ! Mais cette chape de plomba nui plus à la droite qu’à la gauche, pour la raison principale que le politiquement correct est fondamentalement la déclinaison des tabous de gauche. La diabolisation du débat sur les enjeux de société a donc eu pour effet de stériliser encore plus ce qui restait du discours de droite.

    Enfin cette diabolisation a ancré la droite de conviction dans l’espoir fou qu’elle pourrait gagner seule, interdisant en retour toute dynamique d’union : un espoir fou, car arithmétiquement impossible dans des conditions normales et par conséquent facteur de découragement et de discorde autour de la meilleure stratégie possible, en particulier pour sortir de la « diabolisation ».

    Malgré ses ultimes et pathétiques appels du pied entre les deux tours, Nicolas Sarkozy n’a pas su sortir du piège où Jacques Chirac avait fourvoyé la droite.

    La cinquième bêtise de la droite a consisté à se couper du peuple 

    Au début de la Ve République, la droite était majoritaire et populaire : c’est l’apport du gaullisme qui était bien à sa manière un « populisme » : un chef charismatique, une société politique implantée dans toutes les couches de la société et un appareil solide et structuré. Le fondateur de la Ve République voulait en outre sortir du « système des partis » et ancrer l’exécutif dans la souveraineté populaire directe : l’élection au suffrage universel direct du président de la République et la pratique référendaire devaient y pourvoir.

    La droite est au contraire devenue oligarchique à la fin du XXe siècle ! C'est-à-dire qu’elle perçoit le peuple français désormais comme un obstacle à ses projets et non plus comme un levier. En témoigne l’attitude de Nicolas Sarkozy faisant adopter par le parlement un traité européen que les Français avaient refusé par référendum !

    Dans l’esprit obtus des oligarques de droite, la souveraineté ne vient plus du peuple – en tout cas plus du peuple autochtone – mais d’ailleurs : du gouvernement des juges, des lobbies communautaires, des « autorités morales », du pouvoir médiatique, des marchés et de la « gouvernance » européenne et mondiale.

    La droite a malheureusement oublié la leçon du gaullisme : la souveraineté politique vient du peuple, pas des appareils ni des notables ni des « communautés ». Elle s’est mise à courtiser les minorités et non à écouter la majorité.

    Elle a donc raté son rendez-vous avec le peuple français à la fin du XXe siècle car, en se soumettant au politiquement correct, elle s’est interdit de répondre à ses attentes. Elle n’a profité qu’un temps de la désaffection vis-à-vis de la gauche et de la chute du communisme : elle a, au contraire, couru après la gauche tout en méprisant et ostracisant 20% du corps électoral. Elle a déçu ses électeurs naturels, elle a trompé leur confiance et elle n’a pas su répondre à l’angoisse montante des classes moyennes.

    Tant pis pour elle ! Vae victis, comme disaient nos ancêtres.

    Michel Geoffroy (Polémia, 6 mai 2012)

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  • L'OTAN et le Grand Déracinement...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Claude Bourrinet, cueilli sur Voxnr et consacré à cet Occident qui impose son hégémonie au nom des droits de l'homme.

     

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    L'OTAN et le Grand Déracinement

    L’Occident fait la guerre au reste du monde en tenant volontiers le langage des droits de l’homme. Evidemment, placer en premier plan des intérêts économiques ou géostratégiques, au lieu d’une morale agitée de façon ostentatoire par les chancelleries et les médias, discréditerait un combat que l’on veut noble et bénéfique pour l’avenir de l’humanité. Il serait facile aussi, pour peu qu’on s’en donne la peine, de rappeler le soutien apporté à des régimes manifestement autoritaires, comme le Qatar, le Bahreïn, l’Arabie saoudite, la Géorgie etc., sans compter ceux, renversés par le « printemps arabe », qui, de l’Egypte à la Tunisie, ne semblaient poser aucun problème pour les USA et leurs vassaux, et même, à plus d’un titre, représentaient une certaine modernité exemplaire, comme est censé l’être le royaume du Maroc, qui accueillit il y a peu, comme d’autres pays, dont certains d’Europe centrale, des prisonniers islamiques que l’Amérique désirait torturer sans être tracassée par les champions des droits de l’homme. Ces derniers manquent d’ailleurs de persévérance quand il s’agit de l’oncle Tom. Un camp illégal comme celui de Guantanamo, où des centaines de personnes furent internées sans jugement, et qui n’est pas encore fermé, n’a pas suscité le tollé que les élections russes ont provoqué. Le trafic d’organes au Kosovo, les élections truquées d’Afghanistan, la torture dans la Libye « libérée » n’ont apparemment guère d’importance pour des médias, qui trouvent d’ailleurs normal que, pour ce dernier pays, une liste dénonçant des criminels de guerre, fournie à l’ONU, soit restée anonyme. Qui veut-on protéger ? Le régime même étatsunien paraît ne suggérer aucun opprobre, même si censure, surveillance, contrôle, viol de la vie privée, provocations au terrorisme, flicage tous azimuts, espionnage, répression, semblent entrés dans les mœurs, même si le système d’élection, pourri par le fric, est moins démocratique que ceux de Russie et d’Iran (et ne parlons pas de celui de la France, qui interdit à plusieurs millions de citoyens d’être représentés), même si la peine de mort, qui fait pourtant hurler les bonnes âmes, est appliquée sans trop d’état d’âme, ce qui n’est plus le cas en Russie, pays pourtant présenté comme le parangon du Mal (avec bien d’autres, du reste). Enfin, ces donneurs de leçon seraient bien avisés de réviser leur jugement sur un Etat, comme Israël, qui se réclame explicitement d’une ethnie, qui pratique l’apartheid, sème la terreur dans toute une région, multiplie massacres et assassinats ciblés, et bafoue toutes les résolutions de l’ONU.

    Un tel réquisitoire, contre l’ « impérialisme », n’était pourtant pas inconnu dans l’après-guerre. Il était même courant chez ceux qui voyaient dans l’Amérique une puissance obscurantiste, et dans l’URSS le flambeau de l’émancipation du peuple, « Nouvelle Rome » reprenant à son compte les ambitions universalistes de la révolution française. Il semblerait que, depuis, les puissances de dissolution des identités aient changé de bête, et misé sur un champion beaucoup plus fiable qu’un ours affaibli.
    Il n’est du reste qu’à jeter un coup d’œil rapide sur une carte du monde pour jauger les prétentions américaines et otaniques d’hégémonie planétaire, et de l’état de diffusion des métastases. Tout peuple ayant gardé en lui un reste de dignité et d’esprit libre réagit vivement, ce qui est loin d’être le cas d’une Europe qui semble se satisfaire d’une condition servile, qu’elle croit à tort garante de sécurité. Fantasme d’esclave…
    Toutefois, il paraît paradoxal de dénoncer l’hypocrisie idéologique des Etats qui se prévalent des droits de l’homme pour bombarder, torturer et détruire des nations libres et indépendantes. Non que ces critiques ne soient efficaces d’un point de vue propagandiste, même s’il faut relativiser une telle force persuasive. La plupart des hommes sont pour celui qu’ils considèrent comme le plus fort, non parce qu’il a raison, mais parce qu’il est fort. Le discours n’est souvent que la queue de la comète. Le rapport de force change-t-il, on voit les perspectives bouleversées, et les amours culbutées. L’Histoire récente offre des spécimens de cet acabit en abondance, et le personnel politique français, expert en palinodies, trahisons et hypocrisie est, à son niveau (celui des domestiques), particulièrement riche en la matière.

    Avant donc de hurler au loup au nom de l’agneau qu’on égorge, il est indispensable de procéder à un recul historique, et de se demander ce que les mots veulent dire, en tout cas ce qu’est l’ombre qui les accompagne. Or, quiconque possède un minimum d’honnêteté intellectuelle admettra un fait historiquement avéré : la diffusion et la victoire du concept de « droits de l’homme » se sont réalisées en concomitance avec une destruction radicale des liens sociaux, des solidarités organiques, des rapports de protection traditionnels, des particularités dans lesquelles prenaient racines les identités, l’expression du caractère et de la personnalité des peuples, ainsi que par un accroissement extraordinaire des capacités d’extermination mutuelle, des armes d’anéantissement et de la volonté de s’en servir, et d’un mépris abyssal pour le passé, l’Histoire, les us et coutumes qui ont fait la multiplicité du monde, sédimentation sage et patiente du temps stigmatisée sous le vocable de « moyen âge », d’ « archaïsme », de « passéisme ».C’est à ce titre que les troupes otanesques tuent en Afghanistan, prétendument pour « libérer la femme », qu’on a massacré des centaines de milliers de civils en Irak, soi-disant pour que les élections soient libres, et qu’on arme, paradoxalement, des extrémistes religieux en Syrie, pour se débarrasser d’un « dictateur sanguinaire ».

    En fait, la rhétorique belliqueuse, largement inspirée des discours antiques puisés cher Plutarque, Suétone ou Tacite, parfois inspirée par la Bible, n’a pas varié depuis le début de l’âge contemporain, depuis ces « Lumières » qui, au nom de la liberté, ont initié une période de sang et de larmes, d’abord en Europe, puis dans le monde. Edmund Burke avait beau jeu de dénoncer dans la révolution de 89 une entreprise antinaturelle, qui prônait l’avènement d’un homme abstrait, utilitariste et individualiste, atomisé, déraciné et narcissique, aux appétits démesurés et mû par une haine viscérale pour tout ce qui rattachait l’humanité à des acquis traditionnels. La réalité de cet homme, que Renan voyait comme un enfant trouvé terminant sa vie comme célibataire, loin de l’utopie prométhéenne d’un système qui déchaîna les forces démoniaques de la nature sous prétexte de créer un paradis sur terre, fut ce que l’on voit désormais sous nos regards désabusés : cette planète laide, géométrisée, quantifiée, prétentieuse, nomade, bétonnée, angoissée, malade, dévastée, au bord de la tombe.

    La chance de l’idéologie des droit d’un homme, qui, au fond, ne peut être rencontré, puisqu’il n’existe qu’abstraitement, fut d’avoir été portée par une nation sans véritables racines, les Etats Unis, dont la rage expansionniste fut proportionnelle au vide qui s’ouvrait dans son fonds propre : n’étant rien, elle aspirait naturellement à être tout. L’Europe épuisée, tout aussi bien que la Russie, n’étaient plus en mesure de déverser dans le monde ce poison acide.

    Cependant, on voit bien que cette folie utopiste se heurte à un certain nombre de réalités, aussi bien d’ailleurs dans le présent que dans le passé du siècle dernier. Que fut donc par exemple l’expérience « soviétique » de la Russie du XXe siècle ? Le bolchevisme n’a-t-il pas, au fond, été accepté (certes, le glaive aidant, mais parfois il ne suffit pas) que parce qu’il réactivait certaines invariances de la nation profonde, sa propension au collectivisme, à l’anti-individualisme, à l’autoritarisme ? La guerre contre l’ennemi « nazi » n’a-t-elle pas été victorieuse uniquement parce qu’elle se réclamait de l’orthodoxie, du patriotisme, de la terre et du sang ? Plus de vingt millions de Russes sont-ils morts pour les beaux yeux (méprisés) de la « démocratie » ? Quelle blague ! Dans les faits, souvent, le « vêtement » socialiste n’a été qu’un prétexte pour des revendications patriotiques. Les soulèvements « tiers-mondistes » le démontrent à l’envi. En outre, les nations qui ont pris le virage du capitalisme, bien qu’elles soient éloignés de la démocratie telle que l’entendent les Occidentaux, sont pourtant en voie d’obtenir une puissance formidable. La Chine, par exemple, n’a pas besoin des « droits de l’homme » pour se développer. Sans compter les autres « dragons » du Sud Est asiatique. On sait aussi qu’imposer le mode de société occidental dans de nombreux pays relève de l’absurdité, comme le prouve actuellement l’expérience libyenne. L’arraisonnement idéologique de l’OTAN se heurte à un mur, celui des peuples tels qu’ils sont. L’équation « un homme / une voix » est un non sens dans des sociétés où la réalité des hommes, le cadre qui les constitue en êtres responsables, est l’ethnie, le clan, le village, la communauté, la religion, la tradition ou la hiérarchie naturelle. Les possibilités de réalisation de l’humain sont variées, et non réductible aux calculs froids et pauvres de laborantins frénétiques, qui voudraient livrer la chair humaine à leurs expériences de fous.

    La vertu de l’assaut actuel des puissances occidentales contre les nations qui échappent à leur emprise est de faire resurgir, comme des sources que l’on croyait disparues, des identités enracinées, sans lesquelles on sombrerait dans un anonymat mortel, celui du supermarché et de la technique. Non que les pays émergents ne soient, d’eux-mêmes, susceptibles de tomber dans cet anéantissement. Cependant, on peut avoir confiance dans leur instinct de conservation pour qu’ils appuient leur puissance d’exister sur un socle ancestral. En retour, il nous sera possible, à nous, Français et Européens, de nous ressaisir, sous peine de mort.

    Claude Bourrinet (Voxnr, 17 mars 1962)

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